Le leadership n’est pas pour les chefs d’établissement qui pensent que les problèmes du monde réel peuvent être résolus par des solutions simples. Mettre en œuvre le leadership pour une amélioration continue de l’établissement scolaire exige au contraire de s’accommoder d’un monde scolaire complexe, incertain, déconnecté, et souvent chaotique qu’il est bien souvent impossible de gérer de manière directe.
Entre contraintes et autonomie, les problèmes doivent pourtant être résolus au quotidien, et les chefs d’établissements les plus efficaces sont ceux qui sont capables de lier les individus entre eux, de leur faire travailler et leur donnant des responsabilités. Ce serait là une première définition du leadership.
Le problème vient du fait aussi que les solutions sont toujours à trouver dans un contexte précis, non réductible à un autre, et que les décisions ne se trouvent pas dans les manuels d’administration et de management, ni dans la recherche de solutions techniques ou rationnelles, mais dans les réalités du terrain, sans qu’il n’y ait une seule et bonne manière de faire.
On tend à louer la consistance du chef d’établissement qui, une fois qu’il a sélectionné un cours d’action, doit utiliser les ressources disponibles pour faire le travail, en se fixant sur les objectifs ou les cibles qui ont été préalablement fixées par les autorités académiques. De ce point de vue, les cadres doivent prendre en compte un flux d’informations croissantes qu’ils doivent utiliser pour des décisions de management complexes.
Les leaders sont toutefois ceux qui sont capables de synthétiser ces informations et de les utiliser de manière efficace, mais aussi de combiner des éléments de manière innovante pour résoudre les problèmes, en développant des capacités de perception et en donnant du sens aux événements et aux situations.
7 principes peuvent être alors retenus dans le développement de ces capacités au leadership :
Inverser les priorités : souvent, l’organisation scolaire est considérée comme une parfaite mécanique selon laquelle le chef d’établissement pourrait piloter les réformes, les nouveaux contenus scolaires, l’évaluation des enseignants, leur formation, etc. mais comme l’ont montré des dizaines d’études en management, l’amélioration réussie de l’organisation scolaire et la conduite du changement montrent que c’est moins une affaire de conception organisationnelle et de structures que de socialisation, de valeurs et de convictions, et de normes professionnelles au travail. Inverser les priorités veut dire donner priorité à l’enseignement et à l’apprentissage des élèves, à la culture scolaire au sein duquel se partagent les finalités, les valeurs et les engagements des uns et des autres.
Choisir entre les causes et les conséquences : les établissements scolaires sont souvent sous la pression d’une réorganisation pour mieux répondre aux besoins des élèves mais si le changement est justifié comme une cause nécessaire pour changer les individus, leurs emplois du temps, leur espace, il aura une connotation négative. Si au contraire, il est une conséquence naturelle des efforts de la communauté éducative pour améliorer son environnement de travail et d’apprentissage, il a plus de chance de réussir.
Penser la dynamique : l’approche rationnelle de la théorie administrative tend à fixer le monde scolaire tel qu’il devrait être. C’est sans doute intéressant dans les livres et les manuels mais gérer un établissement scolaire est comme vouloir faire traverser une route très fréquentée à un mille-pattes géant : au fur et à mesure que l’établissement avance, le chef d’établissement doit s’activer pour le conduire dans la bonne direction en tirant et poussant à droite et à gauche, en comblant les nids de poule, en évitant les embûches, etc. Tout cela n’a pas grand-chose avec planifier une destination ou dans le cadre de l’établissement adopter la chaîne managériale du planifier, diriger, organiser, contrôler…
Mettre en valeur le sens : ce qui importe le plus aux enseignants et aux élèves, comme aux parents d’élèves, sont les valeurs et les convictions, les règles de socialisation, et les normes qui émergent de l’établissement scolaire. C’est là que réside la capacité à l’amélioration et au changement. Il faut donc certes des incitations mais aussi des buts collectifs d’après lesquels les liens entre les personnes vont se créer, et un partage de valeurs et de convictions qui va permettre de les fédérer. Cet engagement moral, au-delà de stratégies calculées, est une composante importante du travail du chef d’établissement comme leader. Motiver les personnes, mais communiquer sur des valeurs et des symboles culturels sont importants pour susciter la confiance et l’engagement.
Dresser un tableau : dresser un tableau qui valorise l’établissement vis-à-vis de sa communauté locale et permet d’envisager de possibles développements sans chercher toutefois à trop bousculer l’existant pour éviter de multiplier les conflits. Cela permet au chef d’établissement de trouver un équilibre entre légitimité, efficience organisationnelle, et efficacité dans les résultats. La légitimité tient dans la capacité à répondre à des demandes et des pressions qui viennent de publics différents (enseignants, parents, collectivités, Etat, etc.), ce qui nécessite de construire la confiance avec les parties prenantes. L’efficience vient de la nécessité d’utiliser des ressources en temps, argent, et personnes limitées, ce qui oblige à rechercher une certaine forme de collégialité et de collaboration entre équipes de nature informelle avant de bouleverser les structures. L’efficacité nécessite de trouver l’équilibre entre ces attentes extérieures et le contexte même de l’établissement de façon à prendre des décisions qui font sens pour la communauté éducative. L’important est de maîtriser sa communication pour l’extérieur tout en étant efficace dans l’amélioration de la réussite des élèves
Etre humble dans la prise de décision : cela nécessite une bonne dose de réflexion sur sa pratique qui vient de solutions mises en œuvre pas à pas, sans jamais être effrayé des erreurs possibles, et en étant attentifs au retour d’information des équipes et du contexte. Il faut s’habituer à revoir régulièrement ses décisions par que la planification stratégique ne marche jamais, et que de nouvelles informations peuvent conduire à de nouvelles options, tandis que la décision se fait par étapes, de façon à contrôler les progrès et procéder aux ajustements nécessaires.
Se rappeler les aspects moraux du leadership : le leadership est un enjeu de responsabilité morale au sein d’une entreprise collective où chacun se met au service de l’autre. C’est un partage de compétences mais aussi un engagement moral commun au service du projet d’établissement et d’une dynamique de changement. Le leadership est donc concerné autant par ce qui est efficace que par ce qui est bon et juste, ce qui fait sens, ce qui est le meilleur pour l’établissement et les élèves.
Sergiovanni, T. (2005). Leadership: What's in it for Schools?. Routledge.
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7 compétences managériales pour le chef d’établissement Le management de l’attention : c’est la capacité du chef d’établissement à se centrer les individus sur des valeurs, des idées, des objectifs, des finalités qui les rassemblent et leur donnent une direction mais aussi une source d’autorité morale. Les chefs d’établissement gèrent l’attention parce que ce qu’ils disent, ceux qu’ils récompensent, ce à quoi ils accordent du temps, les comportements qu’ils valorisent, et les raisons qui qu’ils donnent pour justifier leurs décisions. Ils portent des finalités qui s’inscrivent dans un flux d’action continue et induisent une clarté, un consensus, et engagement au regard des objectifs Le management du sens
Le chef d’établissement « leader » : 7 principes d’action Le leadership n’est pas pour les chefs d’établissement qui pensent que les problèmes du monde réel peuvent être résolus par des solutions simples. Mettre en œuvre le leadership pour une amélioration continue de l’établissement scolaire exige au contraire de s’accommoder d’un monde scolaire complexe, incertain, déconnecté, et souvent chaotique qu’il est bien souvent impossible de gérer de manière directe. Entre contraintes et autonomie, les problèmes doivent pourtant être résolus au quotidien, et les chefs d’établissements les plus efficaces sont ceux qui sont capables de lier les individus entre eux, de leur faire travailler et leur donnant des responsabilités. Ce serait là une première défi
7 principes de base de la direction scolaire : (1) Inverser les règles Les théories courantes de la gestion, du leadership et du changement supposent que les établissements et les autres types d’organisation sont resserrées sur le plan managérial et relâchées sur le plan culturel. Ils décrivent le fonctionnement des établissements scolaires le fonctionnement mécanique d'une horloge composée de pignons et d'engrenages, de roues, de disques et de goupilles, toutes étroitement reliées de manière ordonnée et prévisible. Il découle de cette vision d’une horlogerie bien rangée et ordonnée que la tâche de direction scolaire est de prendre le contrôle et de maîtriser les mécanismes.
7 principes de base de la direction scolaire : (2) Small is beautiful Les établissements scolaires partout dans le monde sont sous pression pour restructurer l'organisation comme un moyen d'améliorer la réussite des élèves. Une grande partie de ce qui est proposé promet de bien servir les élèves et les enseignants mais ne le fait pas en définitive. Voici un test décisif pour décider quand une proposition de restructuration devrait être envisagée et quand elle devrait être rejetée. Une proposition de restructuration est-elle une cause ou une conséquence ?
7 principes de base de la direction scolaire : (3) Penser l’établissement scolaire comme une « amibe La première exigence d'une théorie rationnelle de la pratique administrative est de s’adapter de manière pratique et réaliste à la façon dont le monde de l’éducation fonctionne réellement. Si une théorie semble logique et qu’elle est recopiée de livres en livres, mais qu’elle ne convient pas à la réalité, alors elle n’est ni rationnelle ni rationaliste. Exprimé de cette façon, penser l’établissement scolaire comme une « amibe » est une approche rationnelle pour comprendre la nature du travail administratif.
7 principes de base de la direction scolaire : (4) Mettre l'accent sur le sens- On pourrait raisonnablement se demander : « mais est-ce que ces idées du type « penser l’établissement comme une amibe » au nom d’un « management souple, culturellement resserré » n’est pas à l’antipode d’une vraie direction scolaire pour conduire le changement ? C’est en effet une vision non organisationnelle de la dynamique de changement de l’établissement scolaire, mais elle n’est pas pour autant opposée à l’idée de direction scolaire. 7 principes de base de la direction scolaire : (5) Piloter l’établissement scolaire :
Une innovation récente dans la technologie militaire est une ligne de tanks pliants conçus et construits en toile pour servir de leurres et créer une illusion de force. Piloter la « toile de l’établissement » comme « un exercice de haute couture » n'est pas une mauvaise idée quand il s’agit de bricoler la structure d’un établissement scolaire. Par exemple, un principe bien établi dans la littérature de l'organisation est que « la forme doit respecter la fonction ».
7 principes de base de la direction scolaire : (6) Soyez humble dans la prise de décision L’humilité dans la prise de décision nécessite une bonne dose de réflexion sur sa pratique et l’appui sur des approches incrémentales lentes et minimalistes. Dans un monde complexe et imprévisible, ces approches peuvent être plus efficaces que les approches à la Rambo qui combinent décision rapide et leadership directif.
Entretenir des illusions, apprendre à coudre une toile, et être modeste dans sa prise de décision soulèvent des questions morales évidentes dans l'esprit de ceux qui ne sont pas habitués à concevoir le pilotage de l’établissement scolaire comme un « passage de l’amibe ». De telles idées sont trompeuses, on pourrait argumenter, et n'ont aucune place dans la théorie et la pratique de la direction scolaire. Les questions morales, cependant, n’émergent pas seulement en étant sensible à des réalités humaines comme des liens faibles, des préférences et des intérêts en compétition, une réalité construite socialement, et l'importance des normes et des valeurs.
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Le leadership fondé sur les règles et la personnalité du chef peut se réclamer de trois théories qui façonnent la manière dont sont perçues la direction, l'organisation et la gestion d’un établissement scolaire : la théorie de la pyramide, celle du chemin de fer et la théorie de la performance élevée. La théorie de la pyramide La théorie de la pyramide suppose que la manière de contrôler le travail des autres est d'avoir une personne qui assume à elle seule les responsabilités en s’occupant de la direction, supervision et inspection des tâches.
Beaucoup de chefs d’établissement n'ignorent pas les trois théories de l’établissement scolaire (la pyramide, le chemin de fer, la performance élevée) mais ils ne leur donnent pas beaucoup de crédit non plus. Au lieu de cela, ils considèrent les établissements scolaires comme des communautés morales et luttent pour faire de cette vision une réalité. La communauté morale a deux avantages importants par rapport aux autres théories : elle construit des liens moraux entre les enseignants, les chefs d’établissement, les parents et les élèves, et elle défend l’idée de les aider à devenir autonomes.
Les théories du management et du leadership reposent sur des images différentes de la rationalité humaine. Trois images sont brièvement discutées ci-dessous (Shulman 1989). Tous les trois sont fidèles dans une certaine mesure, mais certaines sont considérées comme « plus vraies » que d'autres. 1- Les êtres humains sont rationnels ; ils pensent et agissent d'une manière conforme à leurs objectifs, à leur intérêt propre et à la façon dont ils récompensés. Si vous souhaitez qu'ils se comportent d'une certaine manière, rendez le comportement désiré clair pour eux et faites valoir le temps pour lequel ils peuvent s’y engager
Etre suivi comme chef d’établissement : une éthique de la conversation L’une des choses importantes auxquelles le chef d’établissement peut réfléchir pour une direction efficace est la raison pour laquelle les enseignants acceptent de le suivre. La bonne décision libère une force qui permet de mettre les individus ensemble et de les orienter dans une direction commune mais : Qui peut-on suivre ? Suivre quoi ?Pourquoi et comment ? Bien sûr, on peut penser que les enseignants suivent le chef d’établissement parce qu’il dispose d’une certaine autorité bureaucratique (il/elle a le pouvoir réglementaire) ou personnelle (il/elle a un certain charisme). Quand le chef d’établissement se fonde sur son autorité bureaucratique, il/elle escompte que les enseignants suivent
Leadership scolaire : de l’instruction à la transformation L’attention portée par les chefs d’établissement aux comportements des enseignants et à leurs activités pédagogiques peut avoir une influence sur les résultats des élèves. La capacité du chef d’établissement à créer une culture scolaire et un projet d’établissement favorable à l’instruction constituent des déterminants efficaces. Hallinger et Heck (1997) ont exploré cette littérature de recherche entre 1980 et 1995 en étudiant les relations entre la direction pour l’instruction (instructional leadership) et la réussite scolaire des élèves.
Le chef d’établissement et les différentes formes de capital Dans le développement d’une stratégie, le chef d’établissement peut toujours évoquer le mandat ou la lettre de mission qui lui a été attribuée : cela permet de spécifier en détails les règles qui permettent à l’établissement de mettre en œuvre les réformes jugées nécessaires, et de contrôler leur mise en œuvre. Mes ces directives tendent à créer de l’uniformité là où il y a besoin de variété, à limiter les initiatives là où il faudrait de la créativité, à faciliter les calculs intéressés là où il faudrait de l’engagement et de la prise de responsabilité.
Chef d’établissement : maîtriser quelques règles et tactiques simples Dans les années 1970, Cohen, March et Olsen ont caractérisé les organisations scolaires comme des « anarchies organisées ». Ils le justifiaient par le fait que les buts de ces organisations sont difficiles à détailler avec précision, qu’elles se transforment constamment, qu’elles sont différentes d’un établissement scolaire à l’autre, et parfois problématiques. Ils soulignaient que les technologies dévolues à l’enseignement sont peu claires et que, si nous savons créer un établissement scolaire et lui affecter du personnel, nous ne savons pas comme il fonctionne.
La direction scolaire : dimensions symboliques et culturelles La plupart des théories du leadership établissent que le chef d’établissement doit mobiliser, déléguer, prendre en considération les autres, développer un climat scolaire apaisé, tout en étant consistant et persistant dans son projet. Les qualités interpersonnelles sont bien sûr essentielles mais rien ne garantit que telle ou telle approche du leadership fonctionne avec tel ou tel chef d’établissement : les préférences, les personnalités, les contextes, les stratégies sont souvent bien différentes d’un cadre à un autre.