La notion de ledership distribué
s’inspire des développements du cognitivisme et plus particulièrement des travaux du chercheur américain Edwin Hutchins (Edwin, 1995). Dans son livre Cognition in the Wild, il a observé le travail de l’équipage d’un navire de guerre américain. Hutchins s’intéresse au pilotage, et la manière de ramener le vaisseau à bon port. A travers son analyse de l’activité, il monte que chaque action participe d’un système cognitif et rationnel partagée par les membres de l’équipage pour atteindre un objectif commun. Chaque individu, bien que concentré consciemment sur sa tâche, demeure en étroite interaction avec les autres, même s’il ne les voit pas. Aucun script, aucun plan d’action n’a été défini à l’avance, mais les personnes apprennent, communiquent, agissement collectivement et elles savent ce qu’il faut faire quand certaines conditions apparaissent dans leur environnement. C’est une forme de cognition distribuée, un apprentissage collectif dans l’action. Cette idée d’une cognition socialement distribuée a été reprise par Spillane dans sa théorie de la direction scolaire distribuée. Il montre la façon dont certaines représentations et connaissances sont partagées entre des personnes et des artefacts au sein de l’établissement scolaire (Spillane, 2001, 2004). La direction distribuée constitue une pratique sociale générant des actions différenciées selon plusieurs groupes d’individus, le travail et les tâches se définissant au fur et à mesure des interactions, alors qu’elles s’appuient sur les environnements numériques de travail intégrés à l’organisation pédagogique de l’établissement scolaire. Parce que ces contextes sociaux influencent les interactions humaines et les apprentissages, différentes compétences sont donc mises en œuvre selon des supports de représentation régissant non seulement les relations internes entre les membres de la communauté éducative mais aussi les formes d’action. Ces dernières émergent de concert parmi un ensemble d’individus travaillant en réseau, certains d’entre eux étant prenant plus d’initiatives et de responsabilités que d’autres.
Halma Arris s’est appuyée sur ce modèle de direction distribuée pour conduire une enquête auprès d’un certain nombre d’établissements de l’enseignement secondaire anglais en s’intéressant à l’efficacité de la direction scolaire sur l’amélioration des résultats des élèves La direction scolaire distribuée se différencie selon le degré de soutien apporté au changement des pratiques des enseignants par le chef d’établissement et le degré de rigidité ou de souplesse de l’organisation.
Distribution ad hoc : l’organisation pédagogique est souple et flexible mais les pratiques de direction scolaire manquent de coordination, si bien que les bénéfices en sont limités en termes d’amélioration des résultats pour les élèves
Distribution autocratique : la structure de l’organisation pédagogique demeure inchangée mais la participation et l’implication des membres sont encouragées. Toutefois la rigidité de l’organisation limite tout développement dans le sens du changement ou de l’amélioration des pratiques pédagogiques.
La distribution additive : la structure demeure inchangée mais des opportunités ont été créées pour des formes limitées de développement et d’innovation. Le travail est coordonné mais sont impact est plus additif que transformatif, c’est-à-dire beaucoup d'enseignants s'investissent à titre individuel mais ils ne tiennent pas compte de l’action des autres
La distribution autonome : une structure flexible favorise l’innovation et le changement, le travail de direction est coordonné et diffusé de façon à ce qu’il ait un effet sur l’organisation. Il y a un engagement clair en faveur des processus de co-construction et de transformation. C’est la voie à suivre pour Harris si l’établissement scolaire veut être efficace.
Par delà la situation anglaise, la direction scolaire distribuée correspond à l’émergence de nouvelles formes de collaboration, coopération et mise en réseau des établissements scolaires. Ce sont ces arrangements organisationnels qui, comme nous le verrons plus loin, dépassent l’échelle de l’établissement scolaire comme unité éducative. Ils se caractérisent par le développement de relations horizontales plutôt que verticales et hiérarchiques. La direction scolaire distribuée correspond donc à des nouveaux modes de pratiques de travail partagées dans beaucoup d’établissements scolaires dans lesquels les enseignants occupent une place importante (cf. infra). Le travail en équipes et l’apprentissage professionnel constituent des modes structurants de ces activités nouvelles orientées vers la dynamique de changement et l’amélioration des résultats. Cela n’est pas sans implications sur la façon dont s’articulent l’enseignement et les apprentissages dans une organisation pédagogique renouvelée au sein de laquelle la collecte et le partage des informations comme des données occupent une position centrale.
Source : Muller, F., & Normand, R. (2013). École: la grande transformation?. ESF éditeur.