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Photo du rédacteurRomuald Normand

Neurosciences et éducation : entre vérités scientifiques et « neuro-mythes »


En 1999, le rapport Blakemore et Firth a été commandé au Royaume Uni en même temps qu’était lancé le programme de l’OCDE sur « les sciences de l’apprendre et la recherche sur le cerveau ». La première phase (1999-2002) du projet a rassemblé des chercheurs internationaux pour évaluer les implications potentielles des résultats de recherche récents sur le cerveau alors qu’une seconde phase structuraient ces activités dans les domaines de la littératie, de la numératie et de l’apprentissage tout au long de la vie (2002-2006). En Avril 2005, le Programme de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage britannique (TLRP) lançait sa seconde initiative en ce domaine, en organisant une série de séminaires sur « les cadres de collaboration entre les neurosciences et l’éducation. Géré par le Conseil de Recherche Economique et Social britannique, le TLRP (Teaching and Learning Research Programme) a constitué le plus grand investissement dans la recherche en éducation au Royaume-Uni alors que 500 chercheurs y contribuaient à 65 projets spécifiques, tandis qu’était poursuivi un travail empirique à large échelle.

Les analyses qui suivent proviennent du travail accomplir dans ces séminaires sur Neurosciences et Education, alors qu’étaient rassemblés au cours de ces rencontres plus de 400 enseignants, chercheurs en éducation, psychologues et chercheurs en neurosciences, pour discuter des aspects théoriques et méthodologiques d’un champ de recherches interdisciplinaire et émergent comme des possibilités qu’il offrait pour l’éducation.

Les jeunes années : quand l’éducation devrait-elle commencer ?

Contrairement à une croyance populaire, il n’y a pas de preuves neuroscientifiques pour considérer que l’éducation formelle devrait commencer le plus tôt possible. Ces arguments s’appuient sur des interprétations erronées, voir des surinterprétations des preuves. D’abord, il est vrai que la synaptogenèse (la fabrication des synapses, ou connections entre les neurones) apparaît avec un taux plus élevé chez les enfants comparés aux adultes, comme l’élagage synaptique (à travers lequel les connections peu utilisées sont éliminées). Il est juste de considérer que ces changements apparents dans la connectivité du cerveau aident les élèves à apprendre. Mais la plupart de ce que nous avons sur la synaptogenèse et l’élagage vient de la recherche sur les primates. Chez les singes, ces processus apparaissent précocement, suggérant que les trois premières années de leur vie peuvent être significatives dans leur apprentissage. Cependant, nous avons que des changements structurels, incluant la synaptogenèse et l’élagage, continuent à la puberté et pendant presque toute l’adolescence dans les parties du cerveau humain et qu’elles sont significatives pour l’éducation.

Un second argument, souvent lié au premier, est construit d’après le concept de période critique (une fenêtre d’opportunité selon laquelle l’enfant peut apprendre une compétence ou une habileté particulière). Par exemple, il est connu que les adultes ont plus de difficultés à discriminer les sons qu’ils n’ont pas entendu au cours des six premiers mois de leur vie. Cependant, les scientifiques pensent maintenant que ces périodes critiques pourraient renvoyer à des périodes sensibles. Elles ne sont pas fixes et rigides. Elle existe plus sous forme de différences subtiles dans la capacité du cerveau à façonner l’environnement. De plus, elle implique en premier lieu des fonctions visuels, motrices et mémorielles qui sont apprises naturellement dans un environnement normal. Ces recherches sur les périodes sensibles sont fascinantes mais elles ne peuvent pas contribuer de manière significative aux discussions sur les contenus scolaires formels.

Le troisième argument insiste sur la recherche concernant les effets d’environnements enrichis sur l’apprentissage et le développement des synapses. Néanmoins, ces recherches portent sur des rats qui vivent dans des environnements qui ne sont pas plus enrichis que leur habitat naturel. Ces rats sont comparés à des rats en cage qui ne perçoivent aucun stimulus. Ainsi, les résultats disent plus sur les effets d’environnements appauvris qu’enrichis, faisant écho aux études sur les enfants négligés qui montrent des retards et des déficits dans leur développement cognitif. En effet, il y a quelques preuves pour suggérer que des environnements appauvris inhibent le développement neuronal, mais aucune preuve que des environnements enrichis y parviennent.

Le développement du cerveau à l’adolescence

Quel que soit le rôle des environnements enrichis, les années de 0 à 3 ans peuvent être considérés comme une période importante pour le développement du cerveau mais cela continue aussi plus loin dans l’enfance. Les neurosciences ont montré l’étendue surprenante selon laquelle le cerveau continuait de se développer à l’adolescence, particulièrement aux cortex frontal et pariétal où l’élagage synaptique ne commence pas avant la puberté.

Un second type de changement apparaît dans ces régions du cerveau pendant la puberté en impliquant la myélinisation. C’est un processus par lequel les axones, portant des messages entre les neurones, deviennent isolés par une substance grasse appelée myéline, améliorant ainsi l’efficience selon laquelle l’information est communiquée dans le cerveau. Dans les lobes frontaux et pariétaux, la myélination augmente considérablement pendant l’adolescence, et de manière moins importante, pendant l’âge adulte, favorisant ainsi une augmentation de la vitesse de la communication neuronale qui apparaît dans certaines parties.

En conclusion, comme le dit le Dr Sarah-Jayne Blakemore, de Institut des Neurociences Cognitives, University College, Londres :

« Comme dans les premières années de la vie, une seconde vague de réorganisation du cerveau prend place pendant l’adolescence. Les recherches sur le cerveau des adolescents suggèrent que l’enseignement secondaire et supérieur sont probablement vitaux. Le cerveau continue de se développer pendant cette période : il est vraisemblablement adaptable, et à besoin d’être modelé et façonné »

Comme les périodes de sensibilité linguistique sont liées à l’élagage synaptique pendant la petite enfance, l’élagage continu pendant l’adolescence suggérant là aussi des périodes sensibles. Par exemple, la recherche montre que les adolescents activent différentes régions du cerveau quand ils apprennent les équations algébriques et cette différence est associée à un processus plus robuste de stockage à long terme comparé aux adultes. Cependant, un point important est que, alors que le développement des jeunes enfants dans des domaines comme le langage est avantagé par des mécanismes de démarrage biologique spécifique à ces compétences langagières, aucun mécanisme de la sorte n’existe pour les adolescents en relation avec les contenus scolaires. Ainsi, l’éducation formelle, comme l’expérience sociale, jouent un rôle particulier dans le façonnage du cerveau adolescent.

Des facteurs extérieurs à la pédagogie

Les recherches montrent aussi que l’ingestion de caféine permet de soutenir les révisions la nuit (avec des risques de fatigue et de manque lors qu’on arrête le café !) et que le sommeil est une part importante de l’apprentissage parce qu’il aide à consolider la mémoire et qu’il rend plus efficace l’apprentissage. L’hydratation régulière améliore aussi les compétences cognitives des enfants et inversement. Il en va de même des bonnes habitudes alimentaires parmi les jeunes.

Des risques de déterminisme et de stigmatisation

Les approches concernant ‘l’apprentissage accéléré » offrent par contre un tableau plus circonspect. Il existe sur ce point un mix d’idées populaires et de pseudo travaux scientifiques qui ne résistent pas à l’observation scientifique. L’imagerie par résonance magnétique a rencontré sans doute l’intérêt le plus grand dans le public. Cependant, si ces techniques fournissent des images des changements biologiques qui apparaissent dans le cerveau, comme le flux sanguin, elles ne permettent pas de voir directement la pensée ou l’apprentissage. L’élaboration d’un modèle cognitif est nécessaire pour rendre compte des processus mentaux mais la relation entre biologie du cerveau et cognition de l’esprit est loin d’être établie.

De même, l’existence de différences dans la structure du cerveau ou des fonctions entre différents groupes d’apprenants peut donner des idées et contribuer à des programmes et des interventions éducatives plus efficaces. Néanmoins, elles peuvent conduire à des notions inutiles de déficits permanents ou de cellules performantes qui sont biologiquement déterminées. La connaissance biologique peut parfois être associée à des idées déterministes et incorrectes. Il y a donc besoin de combiner davantage d’approches formelles et pédagogiques pour éviter que les neurosciences et les sciences cognitives ne deviennent des mécanismes prédictifs sur la base de causes et effets biologiques, et que soient prises en compte la complexité des interactions entre des environnements biologiques et éducatifs.

“ la cause n’est pas un mot facile. Son usage populaire serait risible s’il n’était pas dangereux, informant, comme il le fait, les politiques gouvernementales sur des questions qui nous affectent tous. Il n’y a pas une simple cause de quoi que soit et rien de déterminé »

(Professeur John Morton, Institut des Neurociences Cognitives, University College, Londres)

Tenir compte de la psychologie et de la recherche en éducation

La biologie ne limite pas nos apprentissages, non seulement parce que nos apprentissages influencent notre biologie (si le nombre de neurones que nous possédons ne change pas beaucoup au cours d’une vie, l’expérience peut changer le nombre de connections entre elles). Plus récemment, plusieurs recherches ont montré la structure du cerveau, y compris le cerveau adulte, pouvait être changé par une expérience éducative. Il existe un besoin croissant de collaborations entre les neurosciences, la psychologie, et l’éducation qui puissent permettre d’embrasser et de comprendre une variété de points de vue, et qui impliquent éducateurs et scientifiques à chaque étape. La recherche en éducation, enracinée dans les sciences sociales, accordent une place importante au contexte social et à l’interprétation des significations, tandis que les sciences naturelles sont davantage concernées par les tests expérimentaux et les mécanismes causaux. Cela sous-tend que les projets de recherche qui visent à étudier le modèle cognitif du cerveau humain grâce aux neurosciences doivent tenir compte aussi de la construction sociale des apprentissages, et impliquer la recherche en psychologie et éducation qui est aussi pertinente sur le plan scientifique.

Certaines idées sont à rejeter pour l’éducation parce qu’elles n’apportent rien de plus mais d’autres peuvent être explorées à condition que les effets soient mieux recherchés sous certaines conditions et une évaluation efficace. Encore trop peu de ces idées ont été testées dans les programmes éducatifs et elles manquent de fondements solides. D’autres ont des implications directions sur les stratégies d’apprentissage, comme par exemple la visualisation, la construction du sens et la mémorisation des informations, l’amélioration des compétences des élèves en musique notamment à travers l’attention et la relaxation,

L’avenir : est-ce que l’éducation, les neurosciences, et la psychologie peuvent travailler ensemble ?

Bien sûr, les scanners du cerveau ne peuvent pas conduire à l’élaboration directe des leçons en classe. Il est nécessaire de conduire davantage d’évaluations sur les interventions en contexte d’apprentissage. Des expérimentations conduites pour vaincre la dyslexie dans l’apprentissage précoce des mathématiques ont été efficaces pour montrer que certains apprentissages pouvaient être préférables à d’autres. Il y a d’autres éléments qui entrent en compte dans la dyscalculie : la cognition visuelle et spatiale, le langage, la mémoire de travail, etc.

Le besoin d’un optimisme prudent

Nous en sommes aux premiers moments de la compréhension du cerveau. Ce que nous connaissons provient d’expérimentations dans des environnements qui sont très différents des contextes d’apprentissage au quotidien. Une autre limite tient au fait que ces études se centrent sur les facteurs cognitifs individuels plutôt que sur la complexité des compétences exigées chaque jour dans des environnements scolaires ou académiques. Et, malgré la mise en évidence de facteurs cognitifs de base, beaucoup de travaux récents sont exagérés l’importance de ce qui était connu.

Les techniques pour explorer le cerveau se développent rapidement mais il existe d’importantes limites pour accéder à une information rendant compte d’activités particulières particulièrement sur un temps cognitif de quelques millisecondes. Les techniques de l’IRM ne sont pas toujours adaptées à l’étude des comportements routiniers qu’utilisent les élèves alors qu’elles impliquent le plus souvent des adultes. La littérature sur imagerie neuronale nous en dit davantage sur le cerveau adulte que sur le développement de l’enfant. Au regard de ces limites, une prudence considérable s’impose pour transférer les concepts des neurosciences à l’éducation.

Source : https://www.researchgate.net/publication/36713853_Neuroscience_and_Education_Issues_and_Opportunities

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