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Entre evidence-based education et jugement professionnel, quel futur pour les enseignants et leurs s


Le déploiement de l’evidence based education, au détriment d’autres conceptions de la recherche en éducation a bien sûr fait l’objet de nombreuses critiques, parfois déjà anciennes (Bourdoncle, 1994 ; Saussez et Lessard, 2009). Dans ce texte, nous nous inspirons en particulier de l’argumentaire proposé par Biesta (2007 et 2010), qui fonde son raisonnement sur la nature du travail éducatif et sur les modes d’apprentissage des enseignants (cf. Dupriez, 2015).

La critique centrale qu’il adresse aux défenseurs d’une éducation fondée sur des preuves est qu’ils assimilent les situations éducatives à des situations techniques, susceptibles d’être appréhendées dans un schéma de relations entre des causes et des effets. Pensé dans ces termes, le problème devient celui du meilleur ajustement entre les problèmes rencontrés par les enseignants et les solutions standardisées proposées par les experts. Si l’ajustement se fait correctement, la bonne solution doit entraîner la réponse adéquate, c’est-à-dire, le plus souvent, un gain d’apprentissage pour les élèves.

Or, pour Biesta, les situations éducatives ne peuvent être réduites à une question d’ordre technique où l’administration du traitement adéquat entraînerait presque mécaniquement la réponse souhaitée. Un tel schéma peut fonctionner dans certains domaines, là où une relation de cause à effet peut être clairement établie entre l’intervention et son impact. Mais ce n’est pas le cas dans le domaine de l’éducation.

D’une part, car les interactions éducatives sont des interactions symboliques qui reposent sur des processus interprétatifs et d’attribution de significations. Même si les dispositifs techniques peuvent aider à agir dans des contextes scolaires, l’essentiel selon Biesta se joue dans l’interaction et dans la signification que l’enseignant et l’élève vont attribuer aux situations rencontrées (une interaction en classe, des difficultés d’apprentissage, un décrochage scolaire, etc.).

Dans ce sens, les interventions de l’enseignant doivent être appréhendées comme des opportunités plutôt que comme des causes dont on connaît les effets. À travers le dispositif qu’il met en place, l’enseignant vise à offrir aux élèves des opportunités d’apprentissage, mais la manière dont les élèves vont s’en saisir dépendra de multiples facteurs.

D’autre part, le travail éducatif est constamment traversé par des valeurs et par des arbitrages entre des valeurs concurrentes qu’il s’agit de prendre en compte en situation éducative : la valorisation des plus faibles dans une classe et le souci d’un traitement égal pour tous par exemple. L’arbitrage nécessairement local entre ces valeurs (et entre les moyens et les fins de l’action éducative) est un autre paramètre qui questionne la pertinence d’un modèle technique de soutien aux interventions éducatives. En quelque sorte, c’est toujours un jugement professionnel qui est requis et qui permet aux enseignants, sur des bases à la fois pragmatiques, théoriques et morales, de décider ce qui est le plus approprié pour certains élèves dans certaines circonstances.

Auteur : Vincent Dupriez

Extraits de Louis LeVasseur, Romuald Normand, Luis Miguel Carvalho, LIU Min, Dalila Andrade Oliveira, (dir.) (2019) Les politiques de restructuration des professions. Une mise en perspective internationale et comparée, Presses de l’Université Laval, Québec. (à paraître)

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